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Titres-restaurant : une activité sociale et culturelle ? Oui… et avec un chèque à la clé !
Ce n’est pas une blague : les titres-restaurant peuvent bel et bien relever des activités sociales et culturelles (ASC) du CSE.
Et ce n’est pas nous qui le disons, mais la cour d’appel de Versailles, dans une décision du 27 février 2025.
🍽️ L’affaire : la fin des titres…mais pas des histoires
Dans une entreprise, l’employeur décide un jour d’arrêter de distribuer les titres-restaurant.
Le CSE ne bronche pas. Il réagit plutôt finement :
→ « Très bien. Puisqu’il s’agit d’une activité sociale et culturelle, c’est à nous de la gérer. »
L’employeur accepte de céder la gestion, mais refuse de transférer les fonds correspondants.
Résultat : contentieux judiciaire.
Et à l’arrivée ? Victoire du CSE.
⚖️ Pourquoi?
Parce que :
- L’entreprise avait une cantine. Donc les titres-restaurant n’étaient pas obligatoires.
- Et selon la jurisprudence, une activité sociale et culturelle doit :
1. Être facultative,
2. Profiter aux salariés,
3. Être sans discrimination,
4. Améliorer les conditions de vie au travail,
5. Ne pas constituer une rémunération.
Les titres-restaurant cochent toutes les cases.
Donc : le CSE peut les gérer, et surtout demander le financement correspondant.
💰 Ce que dit le Code du travail
L’article L.2312-81 prévoit que lorsque l’employeur gérait une ASC, et qu’elle est reprise par le CSE :
- Une contribution financière doit être versée,
- Et cette somme ne peut être inférieure à celle de l’année précédente, sauf accord contraire.
✅ Ce qu’il faut retenir
- Les titres-restaurant peuvent être qualifiés d’ASC s’ils ne sont pas imposés par la loi.
- Si l’employeur cesse de les distribuer, le CSE peut en reprendre la gestion.
- L’employeur doit alors verser une subvention couvrant les économies faites.
🎯Conclusion pratique :
Le titre-restaurant, ce n’est pas qu’un ticket pour déjeuner. C’est aussi un levier juridique et financier pour les CSE… à condition de bien maîtriser la notion d’activité sociale et culturelle.


Maladie pendant les congés payés : vers la fin d’une exception française ?
Aujourd’hui, on s’intéresse à une règle qui pourrait bien changer… et qui concerne beaucoup de salariés : que se passe-t-il lorsqu’un salarié tombe malade pendant ses congés payés ?
Une position française… en décalage
Jusqu’ici, la position du droit français était nette – mais sévère :
- Tomber malade pendant ses vacances ? Tant pis : les congés sont considérés comme pris.
- Le salarié ne peut ni reporter, ni prolonger ses congés.
- Il perçoit l’indemnité de congés payés (et éventuellement les IJSS), mais pas le complément employeur.
Autrement dit, la maladie tombe mal… et ne change rien au décompte des jours de repos.
Sauf que l’Union européenne ne voit pas les choses de cette façon.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rappelé une distinction fondamentale :
Le congé payé vise à se reposer,
l’arrêt maladie vise à se soigner.
Et donc, si un salarié tombe malade pendant ses congés, il doit pouvoir récupérer les jours qu’il n’a pas pu consacrer au repos.
C’est une conception protectrice, déjà suivie par plusieurs juridictions nationales. En France, la cour d’appel de Versailles l’a appliquée dès 2022, en reconnaissant à un salarié le droit au report de ses congés non pris en raison de sa maladie.
Mise en demeure de la France (juin 2025)
La Commission européenne a décidé de hausser le ton.
Elle a mis en demeure la France de modifier sa législation, considérée comme contraire au droit européen.
Elle laisse jusqu’au 18 août 2025 pour réagir. Passé ce délai, une procédure contentieuse pourrait être engagée.
Que faire pour les employeurs ?
Le droit français n’a pas encore changé, mais la prudence s’impose :
- Le ministère du Travail recommande d’ores et déjà d’appliquer la règle européenne.
- Concrètement : accepter de reporter les congés payés si le salarié présente un arrêt maladie couvrant la période.
C’est un choix stratégique, qui vise à prévenir les contentieux prud’homaux à venir.
Ce qu’il faut retenir
- Un salarié malade pendant ses congés a droit au report de ses jours non pris, selon le droit européen.
- Le droit français doit évoluer rapidement.
- En attendant, les employeurs ont tout intérêt à anticiper ce changement pour éviter d’être sanctionnés.
De nouvelles règles à venir, donc. Et une bonne occasion, pour les représentants du personnel, de rappeler que le droit au repos… n’est pas négociable.


Élections CSE : répartition des sièges, loyauté… et obligation de trancher
Aujourd’hui, cap sur les élections professionnelles. Un moment stratégique pour les représentants du personnel… et une source inépuisable de litiges !
Avant le vote, l’employeur et les syndicats doivent impérativement se mettre d’accord sur deux choses essentielles :
- la répartition du personnel entre les collèges électoraux (ouvriers/employés, agents de maîtrise/techniciens, cadres);
- la répartition du nombre de sièges à élire dans chaque collège.
Tout cela est formalisé dans le protocole d’accord préélectoral (PAP). Et quand il n’y a pas d’accord ? Ça secomplique...
⚖️ Et si personne ne s’entend ?
Premier cas : un syndicat s’est présenté à la négociation, mais aucun accord n’est signé.
→ L’employeur doit alors saisir la Dreets (ex-Inspection du travail).
Deuxième cas : la Dreets ne répond pas dans les deux mois.
→ C’est alors au juge judiciaire de trancher.
Mais attention : la Dreets peut refuser de se prononcer si elle estime que l’employeur a manqué à son devoir de loyauté(par exemple, en refusant de transmettre les fiches de postes ou les effectifs).
🔎 Un rappel ferme de la Cour de cassation (25 juin 2025)
Dans une affaire récente, l’employeur avait mal joué le jeu. La Dreets est restée silencieuse.
Le juge a alors refusé de statuer, estimant que la négociation avait été biaisée.
Mais la Cour de cassation a cassé cette décision :
→ Peu importe que la négociation ait été imparfaite : le juge doit statuer lorsque la Dreets s’est abstenue.
Même sans toutes les informations, le juge ne peut pas botter en touche. Il peut ordonner à l’employeur de produire les documents manquants… mais il doit trancher.
✅ Ce qu’il faut retenir
- La Dreets peut refuser de statuer si l’employeur n’a pas négocié loyalement.
- Mais le juge ne peut jamais refuser de décider si la Dreets est silencieuse.
- Le juge peut exiger des pièces complémentaires, mais il doit aller au bout.
🎯 Conclusion pratique :
Négocier loyalement le PAP, c’est stratégique. Car si vous bloquez la procédure:
- La Dreets peut vous laisser seul.
- Le juge, lui, vous forcera à jouer cartes sur table.


Le harcèlement « moral » peut être commis par une personne « morale » !
Aujourd’hui, on revient sur un récent séisme en droit du travail, avec l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 21 janvier 2025 (n° 22-87.145).
Pour rappel, le harcèlement moral est défini par l’article 222-33-2 du Code pénal comme des « (…) comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (…) ».
En l’espèce, l'arrêt concernait la tristement fameuse affaire France Telecom. Dans cette entreprise, récemment privatisée, le mot d'ordre donné aux manager était de faire sortir les salariés, coûte que coûte, « par la porte », ou, à défaut, « par la fenêtre ». Tout un programme...
Une des difficultés soulevées était cependant celle de rattacher l’infraction à des individus précis, dès lors que ce harcèlement était conçu comme une politique structurelle.
Une personne morale, ici, une entreprise, peut-elle avoir … des intentions ?
La Cour de cassation a « vulgarisé » sa position :
« La loi :
- n’impose pas que les agissements répétés s’exercent à l’égard d’une victime déterminée ;
- n’impose pas que les agissements répétés s’exercent dans une relation interpersonnelle entre l’auteur et la victime > le fait qu’auteur et victime appartiennent à la même communauté de travail est suffisant.
La loi permet de réprimer les agissements répétés qui s’inscrivent dans une « politique d’entreprise », c’est-à-dire l’ensemble des décisions prises par les dirigeants ou les organes dirigeants d’une société visant à établir ses modes de gouvernance et d’action. »
C'est une position très ingénieuse qu’a adoptée la Haute Juridiction. Elle a reconnu qu’un mode de management peut être harcelant, sans que ces faits de harcèlement n’aient à être rattachés aux agissements commis en connaissance de cause par une seule personne physique. Dès lors que le harcèlement existe et qu’il est institutionnalisé, et il entraîne la responsabilité de ses dirigeants.
Cette décision constitue une avancée sociale majeure, protégeant les salariés des pratiques managériales harcelantes, en vigueur dans certaines entreprises.
Justice a donc été rendue pour les salariés de France Telecom.
Les dirigeants d’une personne morale pourront donc désormais être condamnées pour avoir les faits de harcèlement moral institutionnels commis.
De bien beaux mots, pour une situation si « immorale »...
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Macho macho man
En Droit, l’employeur est tenu de protéger les salariés des agissements sexistes et des faits harcèlement sexuel.
Mais un « gros lourd » n'est pas « licenciable » en toute circonstance !
Dans une autre affaire récente, un cadre dirigeant avait été licencié pour faute grave après des échanges privés envoyés de sa messagerie professionnelle (cass. soc., 25 septembre 2024, n°23-11.860). Ces messages contenaient des blagues lourdes à base de commentaires humoristiques photos pornographiques, dont il ne sera pas fait mention ici – mais dont il sera simplement indiqué qu’une d’entre elle consistait à assimiler un pénis et un frein à main.
Bref… la lourdeur est manifeste… mais la Cour de cassation a tout de même jugé ce licenciement nul, pour atteinte la vie privée du salarié.
Elle considère donc que le secret des correspondances s’appliquait, y compris concernant des échanges intervenus par le biais d'outils professionnels.
Pour les juges, l'employeur a donc fauté en ce qu’il a licencié le salarié en raison de l'usage qu'il avait fait de sa liberté d'expression.
La sévère sanction prononcée par la Cour d’appel a donc été confirmée : 210.000 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement nul + 68.197,56 euros nets d’indemnité de licenciement – après tout, l’argent n’a pas d’odeur.
Si sur le plan éthique, la décision interroge, sur le plan strictement juridique, elle doit être saluée!
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J’ai été licencié… Dois-je signer mon solde de tout compte ?
Lorsqu'un salarié est licencié, il reçoit un solde de tout compte qui fait l’inventaire des sommes versées à l’occasion de la rupture de son contrat.
S'il est signé, on dit que ce document a un effet « libératoire » pour l’employeur.
Dit plus clairement : si je le signe, je n’aurai plus que 6 mois pour saisir les prud’hommes et contester les sommes qui y sont mentionnés.
Vous pouvez également le signer en apposant la mention « sous réserve de mes droits » sous votre signature. Cette mention neutralisera le délai de 6 mois.
Dans l'affaire jugée le 14 novembre 2024 (Cass. soc., 14 novembre 2024, n° 21-22.540), un salarié licencié n’avait pas signé son solde de tout compte en raison de son incarcération.
Estimant avoir été lésé sur certaines sommes, il avait saisi les prud’hommes à sa sortie de prison, plus de 3 ans plus tard.
La Cour de cassation a estimé que, bien que le salarié n’ait pas signé le solde, le délai de prescription avait couru dès 2013, et son action était désormais forclose, en ce que son incarcération n’avait pas suspendu l’écoulement des délais « normaux » de prescription.
Ainsi, deux enseignements peuvent être tirés de cette affaire :
- Si vous êtes licencié, votre solde de tout compte non-signé vous permettra d’agir aux prud’hommes en cas de contestation des sommes ou en cas de non-versement par l’employeur ;
- Si vous êtes incarcéré, vous devrez tout de même agir dans les délais de prescription légaux (un an pour la contestation de la rupture, deux ans pour l’exécution du contrat, trois ans pour le paiement de salaires et cinq ans pour des faits de harcèlement moral ou de discrimination) ; ces délais courront, y compris pendant votre séjour en prison.
Nous ne vous souhaitons bien évidemment ni l’un, ni l’autre…
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Inaptitude au travail : être (reclassé), ou ne pas être (reclassé) ?
Pour rappel, lorsque vous êtes déclaré inapte à votre poste par le médecin du travail, ce dernier doit se prononcer sur la possibilité ou non de procéder à votre reclassement. Si votre reclassement est possible, alors l’employeur est obligé de vous rechercher un poste disponible. Ce n’est qu’à défaut de poste proposé qu’une procédure de licenciement sera enclenchée à votre encontre.
Vous pourrez alors saisir les prud'hommes si vous estimez que l’employeur a manqué à cette obligation de reclassement.
Mais alors, si vous en arrivez là, qui devra prouver quoi ?
Dès lors que l’employeur propose un poste respectant les recommandations du médecin du travail, il est présumé avoir rempli son obligation de reclassement. Il appartient alors au salarié de « renverser » cette présomption en apportant la preuve contraire.
Dans une affaire jugée par la Cour de cassation le 4 septembre, (Cass. Soc. 4 septembre 2024, n°22-24.005), un salarié licencié pour inaptitude avait estimé que son employeur n’avait pas loyalement recherché un poste dans sa région.
La Cour d’appel avait alors donné raison au salarié, en estimant que l’employeur n’apportait pas la preuve d’avoir recherché un tel poste.
Cependant, la Cour de cassation a censuré cette décision, estimant que c’est bien au salarié d’apporter des preuves de la déloyauté de l'employeur dans ses recherches.
En pratique, archiver des offres d’emplois diffusées par votre employeur sur LinkedIn, Indeed ou en interne pourra vous permettre de monter votre dossier. Avis aux « screenshoters » en tout genre.
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Victimes de racisme : les juges vous entendent !
Il n'est pas rare que des salariés discriminés se désolent du caractère indémontrable des agissements qu'ils subissent. Et pour cause : la discrimination – et plus encore, la discrimination en raison de l’origine – sévit dans l'opacité.
L'article L. 1134-1 du Code du travail vient à la rescousse de ces salariés en disposant que devant un juge, ces derniers n'ont qu'à présenter des éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination – et non des faits démontrant intégralement la discrimination. Pour se défendre de ces agissements, l’employeur devra prouver que les éléments reposent sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Dans une affaire récente, un salarié avait dénoncé à son employeur des propos racistes répétés de ses supérieurs, une attitude discriminatoire, et, notamment le refus de l’un d’eux de le saluer.
Estimant ces agissements discriminatoires, il avait pris acte de la rupture de son contrat et saisi les prud’hommes pour faire reconnaître par les juges cette démission comme un licenciement nul – avec toutes les conséquences indemnitaires qui s’ensuivent
La Cour d’appel avait jugé que le salarié n’avait pas démontré avoir subi de mesure discriminatoire.
La Cour de cassation a sorti son stylo rouge et a censuré cette décision (Cass. soc., 14 nov. 2024, n° 23-17.917), jugeant que les faits rapportés étaient autant d'indices laissant supposer l'existence d'une discrimination liée à son origine.
Cet arrêt a le mérite de rappeler aux salariés qu'en matière de discrimination, la charge de la preuve ne repose pas entièrement sur eux !